Poètes oubliés ! poètes inconnus !
Noire foule innombrables où n’atteint pas la gloire,
Ma main vous cherche ai long des quais tristes et nus,
Et vous réclame, avide, aux verrous des armoires.
J’en suis récompensé lorsqu’un beau vers soudain
Rencontré me salue en sonnant sa fanfare,
Et je sens tout l’orgueil de celui qui répare,
A la face des Dieux, l’injure du destin.
O roses que l’ennui triste a décolorées,
O lauriers languissants résignés à mourir,
Que de fois, sous ma lampe, au déclin des soirées,
Une larme de moi vous a fait refleurir !
Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image,
Comme dans ronde d'un ruisseau.
« Charmant enfant qui me ressemble,
«Disait-il, oh ! viens avec moi !
« Viens, nous serons heureux ensemble
« La terre est indigne de toi,
« Là, jamais entière allégresse :
« L'âme y souffre de ses plaisirs ;
«Les cris de joie ont leur tristesse,
« Et les voluptés leurs soupirs.
« La crainte est de toutes les fêtes ;
« Jamais un jour calme et serein
« Du choc ténébreux des tempêtes
« N'a garanti le lendemain.
« Eh quoi ! les chagrins, les alarmes
« Viendraient troubler ce front si pur !
« Et par l'amertume des larmes
« Se terniraient ces yeux d'azur !
« Non, non; dans les champs de l'espace
« Avec moi tu vas t'envoler ;
« La Providence te fait grâce
« Des jours que tu devais couler.
« Que personne dans ta demeure
« N'obscurcisse ses vêtements ;
« Qu'on accueille ta dernière heure
« Ainsi que tes premiers moments.
« Que les fronts y soient sans nuage,
« Que rien n'y révèle un tombeau ;
« Quand on est pur comme à ton âge,
« Le dernier jour est le plus beau. »
Et, secouant ses blanches ailes,
L'ange, à ces mots, a pris l'essor
Vers les demeures éternelles.....
Pauvre mère ! ... ton fils est mort !
C’est l’espoir !…
Comme des ailes faibles dans le crépuscule
Si loin que c'est le vent, peut-être, ou le frisson
De ta pâleur sur ta face, ô taciturne
Devant quelque Ombre en les cyprès du bois nocturne
Parmi les asphodèles graves du gazon,
Ou des pas que le vent simulé aux campanules
Des bleus treillis du vieux jardin de la raison
Où ton âme se connaît moins au crépuscule.
C'est l'Espoir.
Ecoute, il est assis au bord du fleuve
Si près de l'eau que ses ailes trempent dans l'eau
O les antiques ailes en l'eau toujours neuve
Qui fuit et mouille le plumage de nouveau
Le plumage des grandes ailes dans l'eau.
C'est l'Espoir
Mais voici l'aube et l'heure pâle
Où ta face est plus triste encore et taciturne
Et folle de mornes alarmes
En les mains à travers qui coulent une à une
Tes larmes …
Le vent efface des traces de pas nus aux sables.
C'était l'Espoir
Qui fut assis dans l'ombre auprès du fleuve noir !
Lumineuse, elle vint : c’était toujours la même
Offrant avec sa bouche un bouquet de serments-
Me délaisseras-tu, princesse de bohême ;
Je suis un roi banni dont la tristesse ment.
En vain le bouquet frêle et frais et de printemps
Qui fleurit sur ta bouche à ma bouche vouée
Se refuse du leurre d’un rire irritant,
Tu restes la princesse et la seule priée.
Rêve où mon rêve succombe,
Tu ris, raillant mon destin-
Tes mains mièvres et tes seins
Ont des tiédeurs de colombes,
Tu mens si tu me prédis
Que tes lèvres sont menteuses
Puisque tes yeux m’ont promis
Leur douceur de nuit peureuse.
— « Hé ! tu dors pus ?... Caus’ moi, Mémaine...
Toi aussi t’ as h’entendu l’ coup ?
C’est h’encor Pepa qui rentr’ saoul :
y n’a dû claquer sa quinzaine !
Serr’-moi fort,... boug’ pas,... écoutons.
(Ah ! ton p’tit cœur fait du tapage !
Y saut’ comme Fifi dans sa cage
quand y voit l’ petit chat Miton.)
Aie pas peur,... j’ suis là,... j’ suis ta « Grande »,
tu sais ben cell’ qu’ est quasiment
comm’ qui dirait ta p’tit’ moman ?
Ben voyons, la cell’ qui t’ commande,
qui t’ brabouill’, qui t’habill’, qui t’ peigne,
qui t’ mouch’, qui t’ serch’ tes petits poux,
cell’ qui ramass’ pour toi les beignes,
cell’ qui t’aime à plein-cœur-d’amour !
Bon sang ! Quoi c’est qu’y s’ passe en bas ?
M’man est encore à sa couture....
P’pa l’appell’ : — « Putain, pourriture ! »
Vrai ! Pourvu qu’a n’y répond’ pas !
Quand qu’y n’est bu y d’vient méchant :
M’man dit toujours qu’all’ le plaqu’ra
mais avant, y l’estourbira,
pis nous... y nous en f’ra autant.
Hier,... t’as vu ? Pour sercher querelle
et tâcher d’y mette eun’ pâtée,
y n’a craché dans nos écuelles,
mais Moman a pas rouspété !
T’ entends ? Y va, y vient, y rogne.....
Pan ! Ça c’est nos joujoux qu’y cogne.....
(Pourvu qu’avec ses gros souïers
y n’aill’ pas les écrabouiller !)
Pleur’ pas, Mémain’, c’est pour de rire ;
laiss’ fair’, j’ fouill’rai dans son fann’zar ;
ça et c’ qu’y m’ rest’ dans ma tir’-lire,
j’ t’en ach’t’rai des aut’s au bazar.
Mais surtout qu’y grimp’ pas nous voir,
j’ai la frouss’ quand l’est dans la chambe,
y pos’ son gros cul su’ nos jambes
et y rest’ comm’ ça dans le noir....
Y ricane, y caus’, ses dents grincent
pis y nous chopp’, nous tât’, nous pince
et nous farfouille où faurait pas.....
Mais on peut rien dir’ : c’est Pepa !
On s’ gare, on s’ noue, on s’ met en boule ;
crier !... on prendrait l’ mauvais paing,
c’est du coup qu’y perdrait la boule
et nous f’rait passer l’ goût du pain !
Tout ça vient de c’ que près d’ l’usine
où tout’ la journaille y turbine,
d’un Sam’di à l’autre Sam’di,
y a plein d’ bistrots qui font crédit !
Pis M’mam aussi a pas d’ toupet,
pass’que moi, quand j’ s’rai pour m’ marier,
sûr, j’ prendrai pas un ovréier
ou c’est moi que j’ touch’rai sa paie !
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mémaine ! Ej’ crois que l’ v’là, bon Dieu !
voui voui,... enfonçons-nous au pieu ;
tais-toi,... f’sons min’ de roupiller,
n’os’ra p’t-êt’ pas nous réveiller.....
Patatras, boum ! Minc’ de potin !
Y bûche !... Y doit n’ête en cabosse.....
Oh ! à preusent, y a pus d’émosse,
y planqu’ra là jusqu’au matin !
Preusent... on peut rabattre el’ drap
on peut s’allonger à sa guise.
Bonn’ nuit, ma gross’, fais-moi eun’ bise,
serr’-moi ben fort dans tes p’tits bras. »