J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante
De maux ensevelis. Pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, et vois au fond mon cœur parti en deux,
Et mes poumons gravés d'une ardeur violente,
Vois mon sang écumeux tout noirci par la flamme,
Mes os secs de langueurs en pitoyable point
Mais considère aussi ce que tu ne vois point,
Le reste des malheurs qui saccagent mon âme.
Tu me brûles et au four de ma flamme meurtrière
Tu chauffes ta froideur : tes délicates mains
Attisent mon brasier et tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de colère.
À ce feu dévorant de ton ire allumée
Ton oeil enflé gémit, tu pleures à ma mort,
Mais ce n'est pas mon mal qui te déplait si fort
Rien n'attendrit tes yeux que mon aigre fumée.
Au moins après ma fin que ton âme apaisée
Brûlant le cœur, le corps, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un supplice plus doux,
Étant d'ire en ma vie en un coup épuisée.
La sainte vérité m'échauffe et m'inspire,
Écarte et foule aux pieds les voiles imposteurs :
Ma muse de nos maux flétrira les auteurs,
Dussé-je voir briser ma lyre
Par le glaive insolent de nos libérateurs.
Où vont ces chars pesants conduits par leurs cohortes ?
Sous les voûtes du Louvre ils marchent à pas lents;
Ils s'arrêtent devant ses portes ;
Viennent-ils lui ravir ses sacrés ornements ?
Muses, penchez vos têtes abattues :
Du siècle de Léon les chefs-d'œuvre divins
Sous un ciel sans clarté suivront les froids Germains ;
Les vaisseau d'Albion attendent nos statues.
Des profanateurs inhumains
Vont-ils anéantir tant de veilles savantes ?
Porteront-ils le fer sur les toiles vivantes,
Que Raphaël anima de ses mains ?
Dieu du jour, Dieu des vers, ils brisent ton image.
C'en est fait : la victoire et la divinité
Ne couronnent plus ton visage
D'une double immortalité.
C'en est fait : loin de toi jette un arc inutile.
Non, tu n'inspiras point le vieux chantre d'Achille;
Non, tu n'es pas le dieu qui vengea les neuf sœurs
Des fureurs d'un monstre sauvage,
Toi qui n'as pas un trait pour venger ton outrage
Et terrasser tes ravisseurs.
Le deuil est aux bosquets de Guide
Muet, pâle et le front baissé,
L'amour, que la guerre intimide,
Éteint son flambeau renversé.
Des grâces la troupe légère
L'interroge sur ses douleurs :
Il leur dit, en versant des pleurs :
" J'ai vu Mars outrager ma mère (1). "
(1) La Vénus de Médicis
Je crois entendre encor les clameurs des soldats
Entraînant la jeune immortelle :
Le fer a mutilé ses membres délicats ;
Hélas elle semblait, et plus chaste et plus belle,
Cacher sa honte entre leurs bras.
Dans une fort pris d'assaut telle une vierge en larmes,
Aux yeux des forcenés dont l'insolente ardeur
Déchira les tissus qui dérobaient ses charmes,
Se voile encor de sa pudeur.
Adieu, débris fameux de Grèce et d'Ausonie,
Et vous, tableaux errants de climats en climats ;
Adieu, Cortège, Albane, immortel Phidias ;
Adieu, les arts et le génie !
Noble France, pardonne ! A tes pompeux travaux,
Aux Pujet, aux Lebrun, ma douleur fait injure.
David a ramené son siècle à la Nature :
Parmi ses nourrissons il compte des rivaux...
Laissons-la s'élever cette école nouvelle !
Le laurier de David de lauriers entouré,
Fier de ses rejetons, enfante un bois sacré
Qui protége les arts de son ombre éternelle.
Le marbre animé parle aux yeux :
Une autre Vénus plus féconde,
Près d'Hercule victorieux
Étend son flambeau sur le monde.
Ajax, de son pied furieux,
Insulte au flot qui se retire ;
L'œil superbe, un bras dans les cieux,
Il s'élance, et je l'entends dire :
" J'échapperai malgré les dieux. "
Mais quels monceaux de morts ! que de spectres livides !
Ils tombent dans Jaffa ces vieux soldats français
Qui réveillaient naguère, au bruit de leurs succès,
Les siècles entassés au fond des Pyramides.
Ah ! fuyons ces bords meurtriers !
D'où te vient, Austerlitz, l'éclat qui t'environne ?
Qui dois-je couronner du peintre ou des guerriers ?
Les guerriers et le peintre ont droit à la couronne.
Des chefs-d'œuvre français naissent de toutes parts ;
Ils surprennent mon cœur à d'invincibles charmes :
Au déluge, en tremblant, j'applaudis par mes larmes
Didon enchante mes regards ;
Versant sur un beau corps sa clarté caressante,
A travers le feuillage un faible et deux rayon
Porte les baisers d'une amante
Sur les lèvres d'Endynuon ;
De son flambeau vengeur Némésis m'épouvante !
Je frémis avec Phèdre, et n'ose interroger
L'accusé dédaigneux qui semble la juger.
Je vois Léonidas.0 courage ! ô patrie !
Trois cents héros sont morts dans ce détroit fameux ;
Trois cents ! quel souvenir ! Je pleure ...et je m'écrie :
Dix-huit mille Français ont expiré comme eux !
Oui : j'en. Suis fier encor : ma patrie, est l'asile,
Elle est le temple des beaux-arts.
A l'ombre de nos étendards,
Ils reviendront, ces Dieux que la fortune exile.
L'étranger qui nous trompe, écrase impunément
La justice et la foi sous le glaive étouffées :
Il ternit pour jamais sa splendeur d'un moment.
Il triomphe en barbare et brise nos trophées :
Que cet orgueil est misérable et vain !
Croit-il anéantir tous nos titres de gloire ?
On peut les effacer sur le marbre ou l'airain ;
Qui les effacera du livre de l'histoire ?
Ah ! tant que le soleil luira sur vos états,
Il en doit éclairer d'impérissables marques.
Comment disparaîtront, ô superbes monarques,
Ces champs où les lauriers croissaient pour nos soldats ?
Allez, détruisez donc tant de cités royales,
Dont les clefs d'or suivaient nos pompes triomphales ;
Comblez ces fleuves écumants
Qui nous ont opposé d'impuissantes barrières ;
Aplanissez ces monts dont les rochers fumants
Tremblaient sous nos foudres guerrières.
Voilà nos monuments : c'est là que nos exploits
Redoutent peu l'orgueil d'une injuste victoire :
Le fer, le feu, le temps plus puissant que les rois
Ne peut rien contre leur mémoire.
Je chante les moissons : je dirai sous quel signe
Il faut ouvrir la terre et marier la vigne ;
Les soins industrieux que l'on doit aux troupeaux ;
Et l'abeille économe, et ses sages travaux.
Astres qui, poursuivant votre course ordonnée,
Conduisez dans les cieux la marche de l'année ;
Protecteur des raisins, déesse des moissons,
Si l'homme encor sauvage, instruit par vos leçons,
Quitta le gland des bois pour les gerbes fécondes,
Et d'un nectar vermeil rougit les froides ondes ;
Divinités des prés, des champs et des forêts,
Faunes aux pieds légers, vous, nymphes des guérets,
Faunes, nymphes, venez ; c'est pour vous que je chante.
Et toi, dieu du trident, qui de ta main puissante
De la terre frappas le sein obéissant,
Et soudain fis bondir un coursier frémissant ;
Pallas, dont l'olivier enrichit nos rivages ;
Vous, jeune dieu de Cée, ami des verts bocages,
Pour qui trois cents taureaux, éclatants de blancheur,
Paissent l'herbe nouvelle et l'aubépine en fleur ;
Pan, qui, sur le Lycée ou le riant Ménale,
Animes sous tes doigts la flûte pastorale ;
Vieillard, qui dans ta main tiens un jeune cyprès ;
Enfant, qui le premier sillonnas les guérets ;
Vous tous, dieux bienfaisants, déesses protectrices,
Qui de nos fruits heureux nourrissez les prémices,
Qui versez l'eau des cieux, qui fécondent les champs,
Ainsi qu'à nos moissons présidez à mes chants !
Et toi qu'attend le ciel, et que la terre adore,
Sous quel titre, ô César ! faudra-t-il qu'on t'implore ?
Veux-tu, le front paré du myrte maternel,
Remplacer Jupiter sur son trône éternel ?
Va, préside aux saisons, gouverne le tonnerre,
Protège les cités, fertilise la terre.
Veux-tu sur l'océan un pouvoir souverain ?
Le trident de Neptune est remis dans ta main :
Téthys t'offre sa fille ; et, roi des mers profondes,
Tu recevras pour dot tout l'empire des ondes.
Peut-être, plus voisin de tes nobles aïeux,
Nouveau signe d'été, veux-tu briller aux cieux ?
Le scorpion brûlant, déjà loin d'Erigone,
S'écarte avec respect et fait place à ton trône.
Choisis : mais garde-toi d'accepter les enfers !
Qu'on vante l'Élysée et ses bois toujours verts,
Fière d'un sceptre affreux, que Proserpine y règne,
Toi, je veux qu'on t'adore, et non pas qu'on te craigne.
De nos cultivateurs viens donc guider les mains,
Et commence par eux le bonheur des humains.
Comme autrefois Macbeth. ramenant son armée
De sang et de carnage encor tout enflammée,
Rencontra les trois Sœurs et fut muet d'effroi ;
Lorsque, posant le doigt sur leurs bouches livides,
Elles firent sortir de leurs mâchoires vides :
" Salut, Macbeth, tu seras roi ! "
Et puis, l'esprit troublé par les vieilles sorcières,
Ne vit plus ses soldats passer sur les bruyères,
N'entendit plus des cors le murmure lointain ;
Mais pâle, et l'œil hagard, et la tête baissée,
Marchant vers Inverness, parlait à sa pensée,
Impatient de son destin ;
Ainsi, tout palpitant sous un regard sublime,
D'une autre royauté la future victime
Rencontre le génie à son fatal moment ;
Et lui : " Salut, dit-il, car tu seras poète ! "
Et, comme les trois Sœurs, cet incomplet prophète
Montre sa palme seulement.
Alors. pour accomplir sa redoutable tâche,
Ce condamné s'avance, agité sans relâche,
Tel qu'un vaisseau qui suit le flux et le reflux ;
Il veut se reposer.... tonnant à son oreille,
Une voix formidable en sursaut le réveille :
" Debout! tu ne dormiras plus. "
Comme un simple convive, il s'assoit à la table
Et veut prendre sa part, mais le sort indomptable
Change les cris de fête en un funèbre écho ;
Il veut boire à la coupe... et sa lèvre se glace ;
Car il voit se lever à la lugubre place
L'ombre sanglante de Banquo.
Que de fois s'enfonçant dans la sombre carrière,
Il se rejettera tout à coup en arrière
Et voudra voir le but s'éloigner de sa main !
Poussé par le génie et par ses destinées
Il marchera bientôt il plus grandes journées,
Foulant les ronces du chemin.
Enfin, on le verra, triste, assis sur un trône
Que cette foule aveugle en criant environne,
Comme si celui-là pouvait être usurpé ;
Et se tournant alors vers sa belle complice,
Le poète dira, lui montrant son supplice :
" Muse, pourquoi m'as-tu trompé ? "
Mais, non plus qu'à Macbeth, l'homme né de la femme
Ne pourra lui ravir cette divine flamme
Qui sans cesse l'anime et le consumera ;
Et quand viendra le temps, il rendra la couronne
Et ce sceptre si lourd à celui qui les donne
Et seul aussi les reprendra.
Dans ces prés fleuris
qu'arrose la Seine,
cherchez qui vous mène,
mes chères brebis.
J'ai fait, pour vous rendre
le destin plus doux,
ce qu'on peut attendre
d'une amitié tendre ;
mais son long courroux
détruit, empoisonne
tous mes soins pour vous,
et vous abandonne
aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
aimable troupeau,
vous, de ce hameau
l'honneur et la joie ;
vous qui, gras et beau,
me donniez sans cesse
sur l'herbette épaisse
un plaisir nouveau ?
Que je vous regrette !
Mais il faut céder :
sans chien, sans houlette,
puis-je vous garder ?
L'injuste fortune
me les a ravis.
En vain j'importune
le ciel par mes cris ;
il rit de mes craintes,
et, sourd à mes plaintes,
houlette ni chien,
il ne me rend rien.
Puissiez-vous, contentes
et sans mon secours,
passer d' heureux jours,
brebis innocentes,
brebis mes amours !
Que Pan vous défende :
hélas ! Il le sait,
je ne lui demande
que ce seul bienfait.
Oui, brebis chéries,
qu'avec tant de soin
j'ai toujours nourries,
je prends à témoin
ces bois, ces prairies,
que, si les faveurs
du dieu des pasteurs
vous gardent d'outrages,
et vous font avoir
du matin au soir
de gras pâturages,
j'en conserverai,
tant que je vivrai,
la douce mémoire,
et que mes chansons
en mille façons
porteront sa gloire,
du rivage heureux
où, vif et pompeux,
l'astre qui mesure
les nuits et les jours,
commençant son cours,
rend à la nature
toute sa parure,
jusqu'en ces climats
où, sans doute las
d'éclairer le monde,
il va chez Téthys
rallumer dans l'onde
ses feux amortis.
Ce cœur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine
Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d'un cloche appelant à l'émeute et au combat..
Ecoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non c'est le bruit d'autres cœurs de millions d'autres cœurs battants comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs ,
Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l'ombre à la besogne que l'aube proche leur imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.