Je me ris d'un auteur comique,
Qui, pour forger, en dépit du bon sens,
Une intrigue savante et de beaux incidents,
Se creuse le cerveau, s'échauffe, s'alambique,
Et donne à deux pauvres amants,
Dans un péril très chimérique,
De très véritables tourments.
Il me semble toujours, en leur angoisse extrême,
Voir le père accourir, bonhomme qui les aime,
Et qui dit à l'amant de tristesse abattu :
« Eh ! nigaud, que ne parlais-tu ?
«Je te la destinais moi-même ».
Ceci me rappelle un coffret
Que dans son mobilier nous a transmis la fable.
- « Regardez-le, voisin, l'art en est admirable ;
« Mais de l'ouvrir bien fin qui connaîtrait
« Le secret.»
- « Faut- il donc se donner au diable ?»
- « Il faut... l'ouvrir.» - « Voyons. Oh ! j'ouvrirai ceci.»
- « Gage que non.»-«Gage que si.»
Les enjeux sont mis sur la tablé.
Étaient- ils gros? diront les curieux.
Ma foi, messieurs, il ne m'importe guère.
Allez regarder les enjeux,
Et laissez-moi conter ; c'est là ma seule affaire.
Voilà donc le coffret dans les mains du compère.
L’œil enflammé, mon homme alors
En cent façons s'agite et se travaille,
Harcèle la rainure, et les vis et les bords,
Et pourtant ne fait rien qui vaille ;
Le coffret obstiné résiste à ses efforts !
Enfin, tout dépité d'une fatigue vaine :
- « J'y renonce, dit-il ; c'est l'enfer qui l'a fait ».
- « Vous y renoncez ? « -« Oui; voyons ce beau secret...
Il ne fallait, sans tant de peine,
Que lever le. couvercle, et soudain le coffret
S'ouvrait.
Au sommet de la falaise haute et ardue, en avant de la forêt qui arrivait jusqu'aux bords de la mer, s'élevait un chêne antique
et séculaire. Il avait justement atteint trois cent soixante-cinq ans ; on ne l'aurait jamais cru en voyant son apparence robuste.
Souvent, par les beaux jours d'été, les éphémères venaient s'ébattre et tourbillonner gaiement autour de sa couronne ; une
fois, une de ces petites créatures, après avoir voltigé longuement au milieu d'une joyeuse ronde, vint se reposer sur une des belles feuilles du chêne.
- Pauvre mignonne ! dit l'arbre, ta vie entière ne dure qu'un jour. Que c'est peu ! Comme c'est triste !
- Triste ! répondit le gentil insecte, que signifie donc ce mot que j'entends parfois prononcer ? Le soleil reluit si
merveilleusement ! l'air est si bon, si doux ! je me sens tout transporté de bonheur.
- Oui, mais dans quelques heures, ce sera fini ; tu seras trépassé.
- Trépassé ? s'écria l'éphémère. Qu'est-ce encore que ce mot ? Toi, es-tu aussi trépassé ?
- Non, j'ai déjà vécu bien des milliers de jours ; nos journées ce sont, à dire vrai, des saisons entières. Mais comment te
faire comprendre cela ? C'est une telle longueur de temps que cela doit dépasser tout ce que tu peux imaginer.
- En effet, je ne me figure pas bien, reprit l'insecte, ce que cela peut durer, mille jours. N'est-ce pas ce qu'on appelle
l'éternité ? En tout cas, si tu vis si longtemps, mon existence compte déjà mille moments où j'ai été joyeux et heureux. Et, quand tu mourras, est-ce que tout ce bel univers périra en même temps
?
- Non, certes, répliqua le chêne, il durera bien plus longtemps que moi ; à mon tour, je ne puis me le
figurer.
- Eh bien ! alors nous en sommes au même point, sauf que nous calculons d'une façon différente.
Et l'éphémère reprit sa danse folle et s'élança dans les airs, s'amusant de l'éclat de ses ailes transparentes qui brillaient
comme le plus beau satin ; il respirait à pleins poumons l'air embaumé par les senteurs de l'églantier, des chèvrefeuilles, du sureau, de la menthe et par l'odeur du foin coupé ; et l'insecte se
sentait comme enivré, à force de respirer ces parfums. La journée continua à être splendide ; l'éphémère se reposa encore plusieurs fois pour recommencer à tournoyer en ronde avec ses compagnons.
Le soleil commença à baisser et l'insecte se sentit un peu fatigué de toute cette gaieté ; ses ailes faiblissaient, et tout lentement il glissa le long du chêne jusque sur le doux gazon. Il vint
à choir sur la feuille d'une pâquerette, et souleva encore une fois sa petite tête pour embrasser d'un regard la campagne riante et la mer bleue. Puis ses yeux se fermèrent ; un doux sommeil
s'empara de lui : c'était la mort.
Le lendemain, le chêne vit renaître d'autres éphémères ; il s'entretint avec eux aussi et il les vit de même danser, folâtrer
joyeusement et s'endormir paisiblement en pleine félicité. Ce spectacle se répéta souvent ; mais l'arbre ne le comprenait pas bien ; il avait cependant le temps de réfléchir : car si, chez nous
autres hommes, nos pensées sont interrompues tous les jours par le sommeil, le chêne, lui, ne dort qu'en hiver ; pendant les autres saisons, il veille sans cesse. Le temps approchait où il allait
se reposer ; l'automne était à sa fin. Déjà les taupes commençaient leur sabbat. Les autres arbres étaient déjà dépouillés, et le chêne aussi perdait tous les jours de ses
feuilles.
« Dors, dors, chantaient les vents autour de lui. Nous allons te bercer gentiment, puis te secouer si fort que tes branches en
craqueront d'aise. Dors bien, dors. C'est tes trois cent soixante-cinquièmes nuit. En réalité, comparé à nous, tu n'es qu'un enfant au berceau. Dors, dors bien ! Les nuages vont semer de la neige
; ce sera une belle et chaude couverture pour tes racines.
Et le chêne perdit toutes ses feuilles, et, en effet, il s'endormit pour tout le long hiver ; et il eut bien des rêves, où sa
vie passée lui revint en souvenir.
Il se rappela comment il était sorti d'un gland ; comment, étant encore un tout mince arbuste, il avait failli être dévoré par
une chèvre. Puis il avait grandi à merveille ; plusieurs fois, les gardes de la forêt l'avaient admiré et avaient pensé à le faire abattre pour en tirer des mâts, des poutres, des planches
solides. Il était cependant arrivé à son quatrième siècle, et aujourd'hui personne ne songeait plus à le faire couper ; il était devenu l'ornement de la forêt ; sa superbe couronne dépassait tous
les autres arbres; et, de loin on l'apercevait de la mer et il servait de point de repère aux marins. Au printemps, dans ses hautes branches, les ramiers bâtissaient leur nid; le coucou y était à
demeure et faisait, de là, résonner au loin son cri monotone. L'automne, quand les feuilles de chêne, toutes jaunies, ressemblent à des plaques de cuivre, les oiseaux voyageurs s'assemblaient de
toutes parts sur ce géant de la forêt et s'y reposaient une dernière fois avant d'entreprendre le grand voyage d'outre- mer.
Maintenant donc, l'hiver était venu ; après avoir longtemps résisté aux aquilons, les feuilles du chêne étaient presque toutes
tombées ; les corbeaux, les corneilles venaient se percher sur ses branches et taillaient des bavettes sur la dureté des temps, sur la famine prochaine qui s'annonçait pour
eux.
Survint la veille du saint jour de Noël, et ce fut alors que le vieux chêne rêva le plus beau rêve de sa vie. Il avait le
sentiment de la fête qui se préparait partout sur la terre, là où il y a des chrétiens ; il sentait les vibrations des cloches qui sonnaient de toutes parts. Mais il se croyait en été, par une
splendide journée. Et voici ce qui lui apparut :
Sa haute et vaste couronne était fraîche et verte; les rayons de soleil jouaient à travers les branches et le feuillage, et
projetaient des reflets dorés. L'air était embaumé de senteurs vivifiantes; des papillons aux mille couleurs voltigeaient de toutes parts et jouaient à cache-cache, puis à qui volerait le plus
haut. Des myriades d'éphémères donnaient une sarabande.
Voilà qu'un brillant cortège s'avance : c'étaient les personnages que le vieux chêne avait vus tour à tour passer devant lui
pendant la longue suite d'années qu'il avait vécues. En tête marchait une cavalcade, des pages, des chevaliers aux armures étincelantes, qui revenaient de la croisade, des châtelains vêtus de
brocart sur des palefrois caparaçonnés, et tenant sur la main des faucons encapuchonnés; le cor de chasse retentit, la meute aboyait, le cerf fuyait. Puis arriva une troupe de reîtres et de
lansquenets, aux vêtements bouffants et bariolés, armés de hallebardes et d'arquebuses; ils dressèrent leur tente sous le vieux chêne, allumèrent le feu et, au milieu d'une orgie, ils entonnèrent
des chants de guerre et des refrains bachiques.
Toute cette bande bruyante disparut, et l'on vit s'avancer en silence un jeune couple; ils avaient des cheveux poudrés et la
dame était couverte de rubans aux couleurs tendres; et le monsieur tailla dans l'écorce du chêne les initiales de leurs deux noms; et ils écoutèrent avec ravissement les sons doux et étranges de
la harpe éolienne qui était suspendue dans les branches de l'arbre.
Et, tout à coup, le chêne éprouva comme si un nouveau et puissant courant de vie partant des extrémités de ses racines le
traversait de part en part, montant jusqu'à sa cime, jusqu'au bout de ses plus hautes feuilles.
Il lui semblait qu'il grandissait comme autrefois, que, du sein de la terre, il puisait une nouvelle vigueur; et, en effet, son
tronc s'élançait, sa couronne s'étendait en dôme, et montait toujours plus haut vers le ciel; et plus le chêne s'élevait, plus il éprouvait de bonheur, et il ne désirait que monter encore
au-delà, jusqu'au soleil, dont les rayons brillants le pénétraient d'une chaleur bienfaisante. Et sa couronne était déjà parvenue au-dessus des nuages qui, comme une troupe de grands cygnes
blancs, flottaient sous le bleu firmament.
C'était en plein jour, et cependant les étoiles devinrent visibles ; elles luisaient de leur plus bel éclat ; elles rappelaient
au vieux chêne les yeux brillants des joyeux enfants qui souvent étaient venus s'ébattre autour de lui.
Au spectacle de cette immensité, on était transporté de la félicité la plus pure. Mais le vieux chêne sentait qu'il lui
manquait quelque chose; il éprouvait l'ardent désir de voir les autres arbres de la forêt, les plantes, les fleurs et jusqu'aux moindres broussailles enlevées comme lui et mises en présence de
toutes ces splendeurs. Oui, pour qu'il fût entièrement heureux, il les lui fallait voir tous autour de lui, grands et petits, prenant part à sa félicité.
Et ce sentiment agitait, faisait vibrer ses branches, ses moindres feuilles ; sa couronne s'inclina vers la terre, comme s'il
avait voulu adresser un signal aux muguets et aux violettes cachés sous la mousse, aussi bien qu'aux autres chênes, ses compagnons.
Il lui sembla apercevoir tout à coup un grand mouvement ; les cimes de la forêt se soulevaient, les arbres se mirent à pousser,
à grandir jusqu'à percer les nues. Les ronces, les plantes, pour s'élever plus vite, quittaient terre avec leurs racines et accouraient au vol. Les plus vite arrivés, ce furent les bouleaux;
leurs troncs droits et blancs traversaient les airs comme des flèches, presque comme des éclairs. Et l'on vit arriver les jonques, les genêts, les fougères, et aussi les oiseaux qui, émerveillés
du voyage, chantaient à Tue-Tête leurs plus beaux airs de fête. Les sauterelles juchées sur les brins d'herbe jouaient leur petite musique, accompagnées par les grillons, le susurrement des
abeilles et le faux bourdon des hannetons. Tout ce joyeux concert faisait une délicieuse harmonie.
- Mais, dit le chêne, où est donc resté la petite fleur bleue qui borde le ruisseau, et la clochette, et la pâquerette
?
- Nous y sommes tous, tous ! disaient en chœur les fleurettes, les arbres, les plantes, les habitants de la
forêt.
Le vieux chêne jubilait.
- Oui, tous, grands et petits, disait-il, pas un ne manque. Nous nageons dans un océan de délices ! Quel miracle
!
Et il se sentit de nouveau grandir; soudainement ses racines se détachèrent de terre. « C'est ce qu'il y a de mieux, pensa-t-il
; me voilà dégagé de tous liens ; je puis m'élancer vers la lumière éternelle et m'y précipiter avec tous les êtres chéris qui m'entourent, grands et petits, tous !
- Tous ! dit l'écho. Ce fut la fin du rêve du vieux chêne. Une tempête terrible soufflait sur mer et sur terre. Des vagues
énormes assaillaient la falaise, enlevant des quartiers de roche; les vents hurlaient et secouaient le vieux chêne; sa vigueur éprouvée luttait contre la tourmente, mais un dernier coup de vent
l'ébranla et l'enleva de terre avec sa racine; il tomba, au moment où il rêvait qu'il s'élançait vers l'immensité des cieux. Il gisait là; il avait péri après ses trois cent soixante-cinq ans,
comme l'éphémère après sa journée d'existence.
Le matin, lorsque le soleil vint éclairer le saint jour de Noël, l'ouragan s'était apaisé. De toutes les églises retentissait
le son des cloches; même dans la plus humble cabane régnait l'allégresse. La mer s'était calmée; à bord d'un grand navire qui, toute la nuit, avait lutté, tous les mâts étaient décorés, tous les
pavillons hissés pour célébrer la grande fête.
- Tiens, dit un matelot, l'arbre de la falaise, le grand chêne, qui nous servait de point de repère pour reconnaître la côte, a
disparu. Hier encore, je l'ai aperçu de loin; c'est la tempête qui l'a abattu.
- Que d'années il faudra pour qu'il soit remplacé, dit un autre matelot. Et encore, il n'y aura peut-être aucun autre arbre
assez fort pour grandir, comme lui.
Ce fut l'oraison funèbre prononcée sur la fin du vieux chêne, qui était étendu sur la nappe de neige qui lui servait de
linceul; elle était toute à son honneur et bien méritée, ce qui est si rare.
A bord du navire, les marins entonnèrent les psaumes et les cantiques de Noël, qui célèbrent la délivrance des hommes par le
Fils de Dieu, qui leur a ouvert la voie de la vie éternelle: « La promesse est accomplie, chantaient-ils. Le Sauveur est né. Oh! joie sans pareille ! Alléluia ! alléluia ! »
Et ils sentaient leurs cœurs élevés vers le ciel et transportés, tout comme le vieux chêne, dans son dernier rêve, s'était
senti entraîné vers la lumière éternelle.
On nous répète que le Diable
N'a jamais connu l'équité.
C'est calomnie, en vérité ;
Je le prouve par cette fable.
L'Enfer a ses jours de gala :
On y chôme l'anniversaire
De Néron, de Caligula,
Ou d'Alaric ou d'Attila,
N'importe ; ici le nom ne fait rien à l'affaire.
Notons seulement, mes amis,
Que le Diable, en ces jours de fête,
Tient cour plénière, et qu'homme ou bête
A lui baiser l'ergot tout pervers est admis.
Un jour, comme il ouvrait sa royale séance,
Au mépris de la bienséance,
S'élève un grand débat. Quel en était l'auteur ?
C'est monsieur le Serpent, qui, d'un air de hauteur,
Dispute au Calomniateur
Les honneurs de la préséance.
« Au plus méchant tu dis qu'elle appartient ; bavard,
Trêve donc à toute harangue :
Pourrais-tu comparer le mal que fait ta langue
Au mal que fait mon triple dard ? »
A ces mots, allongeant sa tête meurtrière,
Au premier rang il se glissait,
Et tout en sifflant, il laissait
Son compétiteur en arrière.
Halte-là ! du plus haut de son trône infernal,
Halte-là ! dit le Diable au rampant animal.
A notre cour point d'injustices.
Les honneurs sont réglés chez nous sur les services.
Tu fais beaucoup de mal, je n'en disconviens pas :
Un prompt et douloureux trépas
Coule avec le venin dans les moindres blessures
Qu'aux pauvres gens font tes morsures.
Mais tes morsures, ton venin
Ne menacent que ton voisin :
Le Calomniateur est à craindre au contraire
Partout, au même instant, dans ce vaste univers.
Tout est voisin pour lui: ni les monts, ni les mers
A ses assassinats ne sauraient nous soustraire.
Il atteint l'ange au ciel et le diable aux enfers.
Ordonnons qu'avant les couleuvres,
Avant la vipère et l'aspic,
Et même avant le basilic,
Il prendra rang d'après ses oeuvres.