(J'ai gardé orthographe telle quelle)
Scènes comiques
Scène I
M. ET Madame d’Averne (1)
J'ai reçu tout l'argent, (1) et vous êtes livrée,
M'amour ; la d'Ibagnet et Biron, dès ce soir,
(1) « Le Régent triomphe avec sa nouvelle maîtresse, Mme d’Averne... Les poètes se sont exercés à faire une parodie de trois scènes. L'une est entre le mari et la femme, où le mari excite la femme à se rendre. La deuxième est de la femme toute seule, qui dit qu'elle ne résiste qu'à cause de son galant, M. d'Alincourt, qu'elle a peine à quitter. La troisième est entre ^L d'Alincourt et elle. Là, ils se font des reproches ; elle dit que le Régent est de son goût ; le marquis lui répond qu'il lui a connu un appétit plus grand ; et, enfin, il finit par la mépriser et par dire qu'il la verra bientôt chanter sur le Pont-Neuf. » (Journal de Marais.)
(2) Les Mémoires de Maurepas assurent que le mari avait préparé lui-même la négociation et réglé les conditions du marché ; la conduite qu'il tint et le langage qu'on lui prête ici justifient pleinement cette assertion. Il reçut tout d'abord un brevet de capitaine aux gardes ; et Marais écrivit à ce propos : « Le mari est très content, il a eu aussi sa corbeille. » Deux mois après, nouvelle faveur : « Le Régent lui a donné le gouvernement de Navarreins en Béarn, que M de Louville a vendu 80,000 livres qui n'ont guère coûté à payer. On lui a donné aussi le cordon rouge.
Pour finir le marché doivent nous venir voir ; (1)
Enfin vous triomphez ! Parabère exilée
Est un gage assuré de l'amour du Régent ;
Mais, mieux que ses discours, j'en croirai son argent.
C'est un amant solide, il n'a rien de frivole,
Et pour toute raison nous compte des pistoles ;
Car c'est là le vrai point, tout le reste est phœbus.
MADAME.
Vous le voulez, monsieur, je vous ferai cocu,
Bientôt sur votre front le Régent de la France
Plantera le grand bois.
Le Régent demandait à celui qui lui avait porté tous ces présents, s'il était bien content : — Content, monseigneur ! les cornes lui en sont venues a la tête, répondit le Mercure. »
(1) L'on s'étonne de trouver ici le nom de Mme d'Ibagnet, C'était la femme du concierge du Palais-Royal, dont l'honorabilité nous est garantie par le témoignage de Duclos, « Attaché à la maison d'Orléans dès son enfance, dit l'historien, d'Ibagnet avait vu naître le Régent, il l'aimait tendrement et le servait avec zèle, lui parlant avec la liberté d'un vieux domestique et avec la droiture et la vérité d'un homme digne d'être l'ami de son maître... Quelquefois, un bougeoir à la main, d'Ibagnet le conduisait jusqu'à la porte de la chambre où se célébrait l'orgie. Le Régent lui dit un jour en riant d'entrer. « Monseigneur,
« Répondit-il, mon service finit ici : je ne vais point en si mauvaise compagnie, et je suis bien fâché de vous y voir. »
Une autre fois, il traita comme le dernier des hommes Cauche, valet de chambre et Mercure du Régent, sur ce que ce domestique avait séduit une fille de douze à treize ans pour la li\Ter à son maître. » Il n'est pas vraisemblable que d'Ibagnet permît à sa femme de prendre part à des menées pour lesquelles il manifestait une si profonde répugnance.
MONSIEUR.
C'est corne d'abondance.
Cocu, soit ! que me fait le chimérique affront ?
Ce titre n'est vilain que pour ceux qui le sont
Gratis ; mais par l'argent on adoucit la honte.
Que m'importe, après tout ? je ferai mieux mon compte ;
Soyons riches, morbleu ! moquons-nous de l'honneur,
Ce n'est qu'aux sots à qui cocuage fait peur ;
Il n'est pour la faveur de route plus commune
Et c'est par ce canal qu'à présent la fortune
Chez les plus hauts huppés de la cour s'introduit.
De Prie a plus gagné à partager son lit
Avec le duc borgnon, qu'il n'eût fait à la guerre ;
Et tant d'autres que lui.
MADAME.
Mais que dira ma mère ?
Doutez-vous que ceci n'excite son courroux ?
MONSIEUR.
Votre mère, mon Dieu, ne vaut pas mieux que vous.
MADAME.
J'appréhende surtout mes quatre oncles Boissise.
MONSIEUR.
Vos oncles, l'un est gueux, les autres sont d'église.
Pour apaiser leurs cris, sur eux on répandra
Les grâces, les faveurs. (1)
MADAME.
Mais chacun glosera. (2)
Le public déchaîné…
MONSIEUR.
Beau sujet de contrainte !
Craignons de rester gueux, n'ayons point d'autre crainte.
Mais cessons ces discours, je vous l'ai déjà dit,
J'ai donné ma parole, et cela vous suffit.
Scène II
Madame d'Averne.
Va, ce n'est pas pour toi qu'ici je capitule,
Si je parais avoir encor quelque scrupule,
(1) « La famille de la dame est très fâchée ; mais c'est une affaire faite. Il faut en revenir à ce que disait le duc de La Feuillade : « Il n'y a pas si bonne famille où il n'y ait des p... et des pendus. » (Journal de Marais.)
2. « On a appliqué à cette aventure l'hémistiche de Virgile :
. . . Facilis descensus Averni,
et le rameau d'or que la Sibylle montra à Énée, sans lequel on n'y pouvait entrer :
Hoc sibi pulchra suum ferri Pioserpina munus
Instltuit…
Carpe manu, namque ipsa volens, facilisque sequetur. » [Ibid.)
Ce n'est pas sur le fait d'un mari ; mais mon cœur
Sensible encore aux traits de cette vive ardeur,
Que depuis plus d'un an d'Alincourt a fait naître,
Gémit d'être infidèle... Ah ! je le vois paraître ;
Que faire, malheureuse, en ce fatal moment ?
De quel œil dois-je encor regarder mon amant ?
Sans doute il vient ici ranimer ma tendresse,
Cachons-lui, s'il se peut, ma nouvelle faiblesse.
Scène III.
Madame d’Averne et M. d'Alincourt (1)
MONSIEUR.
Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi.
Madame, et je l'ai cru trop peu digne de foi.
On dit, et sans frémir je ne puis le redire,
Qu'avec vous le Régent...
(1) « La dame était maîtresse du marquis d'Alincourt, qui est au désespoir de cette quitterie, et qu'on a entendu dire aux Tuileries au comte de Brégy, son frère : — La c.… m’avait promis de n'en rien faire et qu'elle aimerait mieux coucher avec un Savoyard qu'avec lui. » Le vieux maréchal de Villeroy se réjouissait fort de ce qui causait le désespoir de l'amant sacrifié. « Il en a fait ses compliments au prince, écrit Marais, et a dit que cela allait renvoyer le marquis d’Alincourt son petit-fils à sa femme, mademoiselle de Boufflers, qu'il a épousée depuis peu, et raccommoder un ménage en en brouillant un autre. Voilà comment la cour se joue de la débauche. » (Journal de Marais.)
MADAME.
Bon, bon, vous voulez rire.
MONSIEUR.
Non, la peste m'étouffe ! à présent je le crois.
Vous l'écoutez, ce bruit, avec trop de sang-froid
Pour m'en faire douter.
MADAME.
Mais vous n'êtes pas sage.
Marquis, vous m'irritez par tout ce badinage.
MONSIEUR.
Éclaircissons ce fait, parlons sérieusement.
Est-il vrai qu'avec vous doit coucher le Régent ?
Vous ne répondez rien, ce silence m'étonne.
MADAME.
Mais qui vous a chargé du soin de ma personne ?
Je puis comme il me plaît user de mes appas,
Ils sont à moi.
MONSIEUR.
D'accord, je n'en disconviens pas.
Mais depuis plus d'un an j'en suis dépositaire,
Tout Paris le sait bien, et même mon grand-père
Me voyait à regret employer ma vigueur
A servir vos désirs ; j'avouerai mon erreur.
J'avais cru que par là j'aurais droit sur votre âme ;
Mais puisque vous servant d'un droit acquis aux dames
Vous voulez être ingrate, il faut vous imiter.
J'irai porter ailleurs mes vœux ; sans me vanter.
Je crois facilement pouvoir trouver fortune.
MADAME.
Je le crois bien, marquis, de la blonde et la brune.
Vous aurez à choisir : un seigneur comme vous
N'en peut jamais manquer ; bon, vous êtes bien fou
De vous fier à moi, vous gagnerez au change.
Il n'est point, sous vos lois, de cœur qui ne se range.
Beau, bien fait, vigoureux...
MONSIEUR.
Il vous en souvient donc ?
A parler franchement, votre nouveau mignon
A plus d'argent que moi, mais, par ma foi, du reste
Je ne troquerais pas.
MADAME.
Et qui vous le conteste ?
C'est mon goût.
MONSIEUR.
Votre goût ? Eh ! mon Dieu, depuis quand ?
Je vous avais connu l'appétit plus gourmand.
Je ne m'attendais pas à cette repartie.
MADAME.
Savez-vous bien, monsieur, que la plaisanterie
Commence à me lasser ?
MONSIEUR.
Brisons là, j'y consens,
Aussi bien mon courroux s'est contraint trop longtemps.
Pour la dernière fois, vous me voyez, ingrate.
Mais n'appréhendez pas que contre vous j'éclate ;
Je connais votre cœur et dois vous mépriser,
Et même cet amant qui vient me déplacer,
Vous faisant éprouver toute son inconstance.
Sans que j'en prenne soin remplira ma vengeance ;
Avant qu'il soit trois mois, cent burlesques chansons
Feront de vos attraits l'énumération,
Et jusqu'à l'Apollon de la Samaritaine,
Tous à vous célébrer emploieront leur veine.