(J'ai gardé orthographe telle quelle)
La mort de Louis XIV
Cet homme qu'une indigne et basse flatterie
Sur un piédestal criminel
Expose à tous les yeux comme étant immortel, (2)
Et pour qui, sans la peur d'un trait de raillerie,
La courtisane idolâtrie
Aurait fait dresser un autel.
Cet homme, dis-je, insatiable
Vient de mourir insolvable,
Et son peuple affligé, indigent, malheureux.
N'a de tous ses exploits qu'un souvenir affreux.
Ah ! si vingt ans plus tôt la Parque
L'eût mis du noir Caron dans la plaintive barque,
(1)
« Bercy, gendre de Desmarets, avait été sous lui intendant des finances ; il avait eu toute sa confiance et conséquemment la principale autorité dans ce ministère. Il faut avouer qu'il la méritait par son esprit et sa capacité. »
(Saint-Simon, Notes sur Dangeau.)
(2)
Le monument de la place des Victoires, élevé en l'honneur de Louis XIV par le duc de La Feuillade, portait l'inscription :
Viro immortali : (Cf. ; p. 44.)
Nous en gémirions moins, et si par son ciseau
Elle eût coupé le fil de sa trop longue vie,
Alors lui-même, sans envie.
Jouirait parmi nous d'un glorieux tombeau.
Mais en disciple trop crédule
On le vit jusqu'à son déclin
Respecter d'Ariston (1) l'hypocrite férule.
Et tel que le grand Constantin
Qui, vainqueur de l'arianisme.
D'un Eusèbe (2) arien donna dans le sophisme,
Cet homme qui dompta les enfants de Calvin, (3)
Mourut, par le même destin.
Entre les bras du molinisme ; (4)
Enfin si de la mort par un indigne effroi,
Ce prince pour Tellier eut une entière foi,
Cet homme si grand par lui-même
Se laissa gouverner par ce fin conducteur,
Et soumit son pouvoir suprême
Aux intérêts cachés d'un si fier séducteur. (5)
(1) Le P. Le Tellier.
(2)
Pamphile Eusèbe, évêque de Césarée. Son orthodoxie a été contestée, parce qu'il chercha une conciliation impossible entre les erreurs d'Arius et les croyances de saint Athanase. Il jouit d'une grande faveur auprès de Constantin, et obtint de ce prince le rappel d'Arius exilé.
(3)
Par la révocation de l'édit de Nantes (1685) et les mesures tyranniques qui en furent la conséquence, Louis XIV essaya de détruire le protestantisme en France.
(3)
Les molinistes acceptaient la doctrine sur la Grâce, professée par le jésuite espagnol Louis Molina et combattue par l'évêque d'Ypres, Jansénius, et par ses disciples.
(5) « Il avait à venger ses injures particulières. Les jansénistes avaient fait condamner à Rome un de ses livres sur les cérémonies chinoises ; il était mal personnellement avec le cardinal de Noailles. »
(Voltaire, Siècle de Louis XIV)