Chansonnier historique du XVIIIe siècle

La régence partie IV


(J'ai gardé orthographe telle quelle)


 Requête des harengères de Paris au roi (1)


Sire, les dames harengères,

Si chères à vos grands-pères,

Se prosternent à vos genoux

Dans ce jour pour elles si doux,

Pour vous témoigner par leurs larmes

Dans quelles affreuses alarmes

Pendant trois jours j'avons été

En sachant Votre Majesté

Entreprise de maladie

Au péril de sa chère vie.

Jamais ne fut un tel tourment ;

 

(1) Cette pièce, que Buvat transcrit dans son Journal en 1722, se rapporte à deux événements de Tannée 1721 : la maladie de Louis XV et l'exil des nouveaux appelants. (Cf ci-dessus p. 58, note i, et p. 86-93.) Elle a dû être composée dans les premiers jours du mois d'août 1721.

 

Quand j'apprîmes soudainement

Une si terrible nouvelle,

Hélas ! notre pauvre cen-elle

En fut revirée à l'envers.

Les quatre coins de l'univers

Ont retenti de nos complaintes.

J'avons invoqué saints et saintes

Et Notre-Dame de Paris,

Ensuite monsieur saint Louis,

La bonne sainte Geneviève,

Oui fut plus raisonnable qu'Eve,

En n'écoutant aucunement

Les discours du malin serpent,

Qui, toujours furieux contre elle,

Ne put éteindre sa chandelle ;

Et partant elle a mérité

De secourir cette cité.

Dès qu'on eut découvert sa châsse

Maudite fièvre en eut la chasse.

Et cinquante gardes du corps,

Pénétrés d'un très vif remords,

Y coururent en diligence

Pour pouvoir gagner l'indulgence,

Et recevoir avec ferveur

Le corps de notre Rédempteur,

Ce qui parut tant exemplaire.

Que chacun ainsi voulut faire.

Afin que tous les gens de bien

Sauvassent le roi très chrétien.

Oh ! que votre convalescence

 

Ressuscite notre espérance !

Jamais le plus long avenir

N'effacera le souvenir

De votre âme vraiment royale

De ce qui se fait à la halle,

Dans la rue et dans les maisons.

Tant de dévotes oraisons,

Par votre prélat ordonné,

Vous promettant longues années,

Pendant lesquelles, Dieu aidant,

Votre peuple sera content.

Ce que je jugeons par vos livres,

Sur les fleuves qui portent vivres,

Et coulent si rapidement

Vers ce furieux élément

D'où je retirons les marées.

Tant les douces que les salées,

Ce qui nous annonce déjà

Que l'abondance régnera

Dans le royaume de la France

Oui fait grande réjouissance,

Criant partout : Vive le roi !

Et son gouverneur Villeroy !

Avec nous, madame la Seine,

De toutes rivières la reine,

Vient se présenter en son rang.

Pour purifier votre sang,

Et vous offrir par ces prémisses

Cent trente grosses écrevisses

Qui valent trente écus au moins.

 

Nous avons donné tous nos soins

Pour qu'on porte sur votre table,

Vendredi, jour très vénérable,

Et pour nous jour si précieux,

Un esturgeon très monstrueux.

Nos poissonneurs, avec leurs harpes

Nous font espérer une carpe

Que tous nos gens nous ont avoué,

Depuis le temps du bon Noé

N'avoir fait si belle fortune

Sur l'empire du dieu Neptune.

Ainsi vous aurez pour ce jour

Cette carpe pour votre cour,

Pour les princes et les princesses.

Pour les ducs et pour les duchesses,

Pour les abbés et les prélats

Pour les robins, pour les soldats,

Pour les gens de la pharmacie

Oui vous ont prolongé la vie ;

Dont Molière, comédien,

Pour cette fois dirait du bien.

Sachez du moins, aimable sire,

Qu'aucune de nous ne désire,

Pour si magnifique présent,

D'avoir de l'or ni de l'argent :

Seulement, à notre manière.

Je vous faisons une prière,

Et la faisons de tous nos cœurs ;

Rendez-nous tous nos bons docteurs

Exilés en mainte province

 

Pour un sujet, dit-on, fort mince ;

S'ils ont fait bien, s'ils ont fait mal,

Dieu le sait, et le cardinal,

J'entendons celui de Noailles,

Dont nous avons vu les entrailles

Toutes pleines d'anxiété

Par rapport à votre santé.

Je ne savons pas l'efficace.

Ni tous les dogmes de la grâce,

Mais je savons certainement

Que ces prêtres à tout moment

Nous rendaient mille bons offices

Sans attendre des écrevisses,

Non ! pas même un remercîment ;

Pour l'amour de Dieu seulement.

D'Asfeld expliquait l'Écriture

De façon si claire et si pure

Que les plus simples l'entendaient,

Et les plus méchants s'amendaient.

Il faut bien vendre des coquilles

Pour pouvoir marier nos filles,

N'ayant plus là le franc Rollin,

Ni le célèbre Tabourin,

Qui formait dans le séminaire

Tant de clercs pour le sanctuaire,

Et faisait asseoir nos enfants

De la Sorbonne sur les bancs.

Begon, frondant contre l'usure,

Faisait souvent, par aventure.

Que les richards, gratuitement,

 

Nous prêtaient, même largement.

Qui ne sait par expérience

Combien le cas de conscience

Décidé par un bon docteur,

Tel que Lefèvre, est de valeur ?

Maillard, vicaire charitable,

Plus de cent fois quitta la table

Pour venir calmer nos maris

Quand par malheur ils étaient gris ;

Ou pour les empêcher de boire.

Je les menions à l'Oratoire,

Où Roger touchait tant leurs cœurs,

Que souvent ils versaient des pleurs.

Je ne parlons point de cent autres.

Qui vivent comme les apôtres.

Qui nous confessaient à ravir.

Et nous aidaient à bien mourir.

Et je pouvons bien dire à vivre.

Car leur morale, qu'il faut suivre,

Nous faisait vendre nos merlans.

Nos goujons et nos éperlans.

Disons hautement, d'un ton aigre,

Que tout chrétien doit faire maigre,

A moins qu'il ne soit alité

Ainsi que Votre Majesté,

Pour laquelle notre tendresse

A fait dire plus d'une messe.

Et maint Te Deum laudamus

Et plusieurs autres Oremus,

En espérant de sa clémence.

 

Pour fruit de sa convalescence,

Pendant que je dirons Vivat !

Qu'elle nous répondra Fiat !