Almanach des muses 1791

Le curé et son renard (Fable)

Depuis une semaine entière

Un roi Lion restait au lit ;

J’entends qu'il gardait sa tanière.

Docteur à longue oreille ordonnance prescrit

Pour son mal, que d'abord il crut imaginaire ;

Puis d'expliquer sa volonté dernière ;

Bientôt après il l'avertit.

Sur cet événement, courtisans raisonnèrent ;

À tout hasard ils intriguèrent.

Ce Lion jeune encor, pensait quelques-uns d'eux,

Peut très bien se tirer d'affaire.

D'autres disaient, ses maux trop dangereux

Font croire que jamais il ne deviendra vieux,

Ainsi nous pouvons tout, sans craindre sa colère.

Au fond d'un bois, fin Renard assembla

Ses confrères et cabala.

Le roi, mes chers amis, leur dit-il, est malade ;

Je vous conseille donc, en loyal camarade,

D’aller féliciter son digue successeur.

Décrions du mourant le règne despotique,

Ses ministres, ses mœurs, sa fausse politique,

Et de l'autre vantons les talents et le coeur.

Exaltons avec art son goût patriotique ;

Paraissons de lui seul attendre le Bonlieu.

Les premiers à louer, sont les premiers à plaire ;

C’est le plus sûr moyen d'obtenir du crédit.

Au coupable projet, chacun d'eux applaudit.

Caché par un buisson, un boeuf les entendit,

Un boeuf du bon vieux temps, qui tenait de son père

Grand respect pour son maître, et coeur droit et sincère.

Scélérats, cria·t·il, et si le roi guérit ?

Broutez, broutez l'insipide fougère,

réplique l’orateur, et calmez votre esprit :

S’il en revient, nous dirons le contraire.

Par Madame de la Fér

 

 



Épigramme

Orné d'une rapière, un poltron se moquait

D'un vieil avare, et lui disait :

Quelle est ta volupté ? Tu n'as l'âme occupée

Qu’à veiller sur ton or, sans jamais t'eu servir.

L'avare lui répond : J'ai le même plaisir,

Que toi, quand tu portes l'épée.

Par M. l'abbé de Schosne

 

 



Adieux

Aux jardins de la Villette

Esprits des beautés naturelles,

Ennemis d’art imposteur,

Que dans ce séjour enchanteur

J’ai goûté de douceurs nouvelles

 

Ans jardins, aux palais d'un roi,

Qu’un autre aille offrir son hommage ;

Des bois, des prés, un doux ombrage,

Voilà tout ce qu'il faut pour moi.

 

Tantôt aux bords d’une onde pure

Qui serpente dans ces vallons,

Je rafraîchis sur les gazons

Mes yeux altérés de verdure ;

 

Le saule joint au peuplier

Tantôt m'offre un discret asile :

Je règne sous le dais mobile

De leur feuillage hospitalier.

 

Que j'aime suivre ce méandre

Dans ses voluptueux détours !

Il semble, incertain dans son cous,

Tour à tour se fuir et s'attendre.

 

De la canicule en fureur

Jamais l'haleine dévorante

N’osa de son eau transparente

Souiller l'éternelle fraîcheur.

 

Ainsi de la noire tristesse

Jamais le souffle empoisonné

N’osa dans ce lieu fortuné

Troubler une paisible inesse.

 

Les maîtres de ce beau séjour

Qe leur domaine l'ont bannie :

Ici les mois, les ans, la vie

S’écouleraient comme un seul jour.

 

Mais déjà Paris me rappelle…

Adieu, bosquets silencieux !

Claires eaux, prés délicieux,

Nature aimable et toujours belle !

 

Adieu, rendez-vous des Zéphirs,

Des Sylvains, des fraîches noyades !

Adieu riantes promenades !

Adieu Villette, adieu plaisirs !

Par M. Ginguené

 

 



Les droits de l’homme

Et de Sparte, et d’Athènes, et de l’antique Rome,

Qu’on appelle à Paris la législation ;

Qu’on rectifie et Lycurgue et Solon,

Et que sur eux Sieyès obtienne enfin la pomme,

Je le veux bien, disait une femme de nom ;

Mais que l’on nous épargne au moins les droits de

L’homme !

Nos droits, Madame ! Y pensez-vous ?

Répond Damis, étonné de l’entendre.

Ah ! Nous ne voulons les reprendre,

Que pour les mettre à vos genoux.

Par M. Mugnerot