O Reine du bateau-lavoir,
Promue au pouvoir monarchique
Par le concile oecuménique
Des demoiselles du battoir.
Souveraine de Mi-carême
Dont la jeunesse, la beauté
Et les sourires ont été
Les seuls titres aux diadèmes.
Gentille Majesté d’un jour,
Qui n’aura ni sergents de ville,
Ni budget, ni liste civile,
Et dont le règne, hélas ! trop court,
Comme toutes les bonnes choses,
Doit, aussitôt qu’inauguré,
Avoir le sort prématuré
Des ministères et des roses :
Je viens saluer humblement
De mes rimes les lus sincères,
Au nom des poètes, mes frères,
Votre joyeux avènement.
- Car, vraiment, ce n’est pas pour rire,
Mais le temps qui court n’est pas gai
Et besoin est, ma Mie, ô gué !
De votre royauté pour rire.
Oh ! venez nous distraire un peu
De la névrose pessimiste !
Que votre règne fantaisiste
Sois l’apothéose du bleu !
Faites-nous oublier l'austère
Bérenger, .et ces gens de poids
De qui les vertus sont en bois
Et ne se mesurent qu'au stère.
Montrez à tous ces petits saints
Qui tripatouillent le scandale.
Qu'on peut laver son linge sale
Sans éclabousser les voisins.
- Vous avez ce qu'il but pour plaire:
Riez, riez à tous venants,
Et montrez à nos gouvernants
Comment on devient populaire.
Soyez la reine sans façons
D'une après-midi de liesse :
A vos sujets faites largesse
De pieds de nez et de chansons
- Et lorsque les vicissitudes
Que tout régime doit subir
Vous auront, comme Casimir,
Rendue à vos chères études,
D'un geste large et familier
Montrez-nous, en quittant la place,
Que l'on peut mettre de la grâce
Même à rendre son tablier.
«Anacréon, te voilà vieux !»
Belles, répétez-vous sans cesse ;
«Sur ce miroir jette les yeux :
Il t'avertit de ta vieillesse»
C'est le printemps qu'Amour chérit :
Ne croyez pas que je l'ignore ;
Mais quand Glycère me sourit,
Près d'elle je suis jeune encore.
Si le Temps produit sur mon front
De funestes métamorphoses,
Je sais, pour couvrir cet affront,
Cacher mes rides sous des roses.
Oui, jusque à mon dernier jour,
Animé d'un triple délire.
Je veux caresser tour à tour
Ma belle, mon verre et ma lyre.
Nymphes où portez-vous vos pas ?
D'un vieillard que pouvez-vous craindre
Ah! Devant lui ne fuyez pas,
Car il ne saurait vous atteindre
Opposez mes cheveux blanchis
Au doux éclat qui vous colore:
Belles, songez qu'au près des lis
La rose est plus brillante encore.
Quand la mort viendra tristement
M'annonce mon heure dernière,
Qu'elle me trouve assis gaîment
Entre Bacchus et ma Glycère.
Prêt à descendre au sombre bord,
Mon âge aux plaisirs me convié:
Plus on approche de la mort,
Plus on doit jouir de la vie.