Novembre 1895
Les dernières modes
collection privée
Les théâtres étant en ce moment presque les Seuls endroits de réunions mondaines à Paris, en attendant la réouverture des salons, le cachet de la toilette se porte avant tout sur la coiffure et le chapeau.
A l’opéra, ce sont les fleurs qu’un caprice de la mode place dans la chevelure sur un des côtés du chignon, ou encore en diadème, nichées dans les ondes légères que forment les cheveux au sommet ; ce sont aussi les bijoux diamantés, nichées dans les ondes légères que forment les cheveux au sommet ; ce sont aussi les bijoux diamantés rappelant la panache porté au siècle dernier par les femmes de qualité.
À ce propos, j’ai oui dire que les directeurs de théâtre, ayant, dans un mouvement galant de conciliation, accordé aux femmes l’accès des fauteuils d’orchestre, sous peine d’y apparaître sans chapeau, auraient maille à partir avec ces nouveaux agréments de la coiffure, beaucoup plus volumineux, certes, que les minuscules chapeaux imaginés pour la circonstance par nos habiles modistes. Heureusement, ces coiffures à l’allure conquérante n’ont point encore tenté les habituées du théâtre Français. Un joli peigne, des épingles d’écaille où un bijou artistique font tous les frais de l’ornement admis à la comédie, et nos femmes n’en paraissent pas moins jolie avec leur chevelure rendue touffue et bouffante par le frou-frou qui leur donne ce pli naturel si seyant à tous les visages.
Dans les autres théâtres, le chapeau est de rigueur ; jamais, du reste, ils ne furent de formes plus originales, ni plus gracieuse. Dans la maison Virot (1), cette ruche si parisienne, ils prennent des allures artistiques, d’un cachet ancien, divinement modernisé, qui tenteront assurément toutes les chercheuses de coquetteries inédites.
Chiffonnés dans des soies aux teintes harmonieuses rebrodées d’or et de perles fines, dans des brocarts tissés d’or de différents tons, ou des velours incrustes de broderies et de pierres précieuses, ces chapeaux aux formes imprévues, impossibles à décrire, sont d’une richesse inouïe, rehaussés par des plumes blanches ou noires et des aigrettes marabout qe retiennent des bijoux en diamants et pe
rles fines. Petit béguin, pouf Marie-Antoinette, oapotinette de duchesse, ainsi composée par Virot (1), sont les plus mignonnes coiffures de théâtre et de concert dont une jolie femme puisse orner sa tête brune ou blonde.
A côté de ces coiffures si habilement modernisées, Virot (1) , a créé des parures chiffonnés avec art, qu’ornent des touffes de fleurs fixées déci, delà, comme par hasard. Les parures de cou descendent sur les épaules et remontent vers la nuque, entourant la tête qui se coquettement enfoui dans ces ondes douillettes. Les manchons, d’une royale ampleur, sont en velours, rehaussés de bottes de plumes d’autruche fixées par des motifs en diamants.
Un élégant caprice vient de mettre à la mode les velours peints à la main de branches de fleurs ou de dessins renaissance ; on en compose des cuirasses fort riches et très originales, associées à des draps ou à des velours unis.
Worth (2), Maître en l’art des élégances princières, a fait faire pour quelques-unes de ses clientes des velours rehaussés d’impressions de larges fleurs aux nuances fondues, de l’effet le plus pittoresque ; il crée, avec ces splendides étoffes, des atours d’une coquetterie incomparable. Ainsi, faits, robes et manteaux rappellent les splendeurs d’un autre siècle et font la joie des femmes de goût. Certes, pas banales non plus les robes princesses que le grand artiste prépare pour les visites prochaines ;faites en drap ou en velours, elles se ferment de côté par des pattes remontant sur le corsage et que retiennent des boutons artistiques, genre bijou ou style ancien.
Ces robes, qui seront le triomphe des femmes bien faites et la gloire des couturiers habiles, exigeront le port d’un corset absolument irréprochable, moulant le buste sans le comprimer, lui laissant toute la séduction de sa grâce et de sa souplesse, soulignant ses harmonieux contours et pourtant au besoin rectifier quelques imperfections.
Léoty (3), passé maître en l’art de mouler une taille féminine, pourra, avec cette nouvelle mode, ajouter un triomphe de plus à ses succès habituels, car c’est à lui que les élégantes bien avisées demanderont ces rêves de soie et de dentelles, qui leur ont déjà valu tant de fois d’être citées parmi les reines d’élégance et de beauté.
Un engouement, tel qu’il nous est donné parfois d’en voir surgir durant une saison, s’accentue de plus en plus : ce sont les cols rabattus sur les hauts colliers drapés au cou ; découpés comme de larges pétales de fleurs ou des ailes d’oiseaux de nuit, ils se font en tulles mousseline plissée, en dentelle incrustée de perles fines, soutenus par les coques et des nœuds de ruban, ou encore en velours raidi incrusté de broderie ; des boutons ou griffes de diamants semblent les retenir de chaque côté au collier drapé fait en soie ou velours. Ces exquises extravagances inaugurées par Worth (2) font un cadre charmant aux fins visages de nos frêles parisiennes.
Melle de Broncza (comédienne née en 1872 à Paris) dans le mariage d’Olympe, d’Émile Augier (1820-1889 poète et dramaturge Français), que vient de reprendre l’Odéon, a inauguré une série de toilette qui ont fait le joie des yeux et méritent qu’on s’y arrête. Une d’entre elles est reproduite sur nos planches en couleurs, les autres figurent dans notre texte. C’est dans une de ces dernières qu’elle apparaît au premier acte : la jupe est en velours vert bouteille, fendue de côté et retenue par des pattes sur un dessous de satin Nil finement plissé. Le corsage blouse est en velours Nil incrusté de broderie Renaissance et orné de dentelle drapée sur le haut des manches, retenue devant par des boutons en diamants.
La toilette d’intérieur du deuxième acte est fort jolie, faite en soie brochée jaune ; elle est ornée devant d’une bande de velours vert avec dentelle et zibeline s’ouvrant sur un dessous en mousseline de soie blanche lamée d’entre deux de dentelle. Un corsage de velours vert pâle, décolleté en carré et fixé à la taille dans le dos, s’ouvre devant et est surmonté d’une crête en velours plissé d’un effet très original. La toilette de bal de ce même acte est en satin crème incrusté de velours rose constellé de perles et de diamants, d’où retombe un baldaquin de dentelle ; le corsage en velours rose à basques formant de larges dents arrondies est incrusté de broderies et souligné de dentelle remontant devant jusqu’au décolleté.
La toilette du troisième acte est en mousseline de soie noire, genre Empire et constellée de jais, faisant empiècement avec pluie de perles et larges rubans également brodés et étincelants, retombant jusqu’au bas de la jupe.
Zibeline
Virot (1)
Les liens entre la haute couture et les chapeaux remontent à Worth et à sa collaboration avec Mme Virot dans les années 1890. « Une bonne modiste était capable d’interpréter l’esprit d’une collection sans sacrifier sa propre créativité. Bien que leur contribution ne fût pas officiellement reconnue, tous ceux qui faisaient partie du monde fermé de la mode parisienne savaient quelles modistes avaient créé les modèles qui accompagnaient la collection présentée par son couturier ».
Les grandes modistes de cette époque sont Caroline Reboux, Lucienne Rebaté, les sœurs Legroux, madame Blanchot, Lewis, Marie Alphonsine
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